Propos
recueillis pendant le cours de Médiation Culturelle en Rhône-Alpes
de Mme Kiehl en présence de Valérie Marinese, actrice et metteur en
scène, et Marie-Françoise Palluy-Asseily, chargée des relations
publiques au théâtre des Céléstins.
Plus d'infos: Site des Célestins / Blog des Célestins
A
l’occasion de la représentation de Mort
d’un commis voyageur,
au théâtre des Céléstins, notre classe a eu le plaisir de
recevoir Valérie Marinese interprétant la Femme et Mademoiselle
Forsythe ainsi que Marie-Françoise Palluy-Asseily; chargée des
relations publiques au théâtre des Céléstins et qui a participé
à l’élaboration du dossier pédagogique de cette pièce.
La pièce: Mort d'un commis voyageur
Willy
Loman est commis voyageur depuis 35 ans dans la même entreprise. Il
a deux enfants pour lesquels il nourrit de grandes ambitions Biff et
Happy. Déçu par le premier suite à son échec scolaire, il entre
en conflit avec lui. Willy a donc le sentiment d'avoir échoué en
tant que père. Puis, vient le licenciement, sa carrière prend fin
violemment. Il va alors se perdre dans les souvenirs d'une époque
plus heureuse, où tout était encore possible.
Une
multitude de thèmes sont abordés dans la pièce, une multitude de
valeurs et de clichés. Le plus troublant lorsque l’on assiste à
une représentation de cette pièce est l’étrange actualité des
thèmes. On peut aisément s’identifier, nous, habitants du XXIème
siècle, à cette société d’après-guerre fondée sur le
capitalisme, l’ambition, la réussite et les valeurs familiales.
Comment ne pas se reconnaître, aujourd’hui, en un homme qui a mis
toute son énergie dans son travail et qui finit par être renvoyé
parce qu’il n’est plus aussi performant, presque démodé.
Comment ne pas se reconnaître, aujourd’hui, dans cette femme, qui
malgré les drames, soutient et aime son mari. Et comment ne pas
reconnaître dans les personnages d’Happy et Biff, nos propres
enfants qui se moquent déjà ou se moqueront de nous parce que nous
n’avons pas les mêmes valeurs que les jeun’s ! Le plus
effrayant, il me semble, est que cette situation est devenue plus que
banale aujourd’hui.
Mort
d’un commis voyageur
est comme un écho à nos vies. Un écho bien trop puissant pour
certain si l’on s’en réfère au silence presque macabre dans la
salle lors de la représentation. Cette puissance est portée par un
casting formidable qu’on ne peut que féliciter et soutenir pour un
tel engagement dans leurs personnages et plus particulièrement
François Marthouret qui interprète le personnage principal de Willy
Loman. Autour de ce personnage gravite personnages réels, allégories
et figures illustrant sa vie, son passé, ses états d’âmes.
A
vous de savoir si dans cette situation, vous feriez comme Willy ?
Choisiriez-vous l’obéissance au système fondé sur l’argent qui
vous conduira finalement à vous suicider ? Ou feriez vous comme
Biff ? Être lucide, accepter l’idée que l’on peut être un
« bon à rien » et renoncez à tout ce système ? Ce
choix vous appartient.
Interview de Valérie Marinese
Thomas Lenoir © |
à propos de cette pièce...
"Le théâtre américain des années 50 a été un peu mis au placard ces dernières années en France. Aujourd’hui, on redécouvre ce théâtre avec Arthur Miller qui a un sens des dialogues magnifique : original, direct. Ce théâtre parle de nous, tous les membres de l’équipe artistique ont pu s’identifier aux personnages, à cette cellule familiale. C'est un théâtre qui m'a beaucoup touchée! C'est un théâtre qu'il faut montrer parce qu'il nous questionne et nous aide à envisager l'avenir. Le théâtre est là pour faire réfléchir. Pour moi, le théâtre est aussi un acte politique."
Que
pensez-vous de l’écriture de Miller ?
- Valérie Marinese : « Le théâtre de Miller est un théâtre réaliste, « psychologique » bien qu’il fasse intervenir des flashbacks et des revenants. Pendant les répétitions, l’équipe artistique pouvait sentir que François (Marthouret) avait été tourmenté par son personnage. Ca a provoqué chez lui des choses très personnelles. On ne sort pas indemne de ce genre de rôle. »
- Christine Kiehl : "Le théâtre psychologique implique un engagement émotionnel dans un jeu très physique : on ne peut le jouer autrement qu'en l'incarnant viscéralement. La pièce de Miller enrichit cette incarnation psychologique d'une dimension mythique, philosophique, symbolique"
Vous
nous parlez de « théâtre psychologique » n'est-ce pas trop dur de
se plonger dans une pièce comme ça, bouleversante?
Valérie Marinèse : « Ce qui peut être éprouvant c'est surtout la période de répétition, on est plus tourmentés, comme la pièce est jouée et a pris son rythme l'envie qu'on a tous maintenant c'est de la partager tous les soirs, ce sont de grands moments d'émotions où les personnages se livrent, après la représentation on se sent bien. »
Quels
ont été les choix de mise en scène? Si vous deviez mettre cette
pièce en scène que changeriez vous?
- Valérie Marinèse : "Je suis comédienne mais je commence aussi à faire de la mise en scène. Notamment, l’une des premières idées de Claudia Stavisky (metteur en scène et co-directrice artistique du théâtre des Celéstins) étaient de distinguer les scènes se passant dans la réalité, l’instant présent et les flashbacks. Pour cela, les flashback, comme on peut le voir dans la pièce, sont pleins de couleurs et vifs alors que les scènes actuelles se passent en noir et blanc, comme pour accentuer, l’aspect terne, triste, de plus en plus sombre de la vie des Loman.La question s’est longuement posée de savoir comment faire exister ça au théâtre? Je pense aux éléments qui flottent et qui apparaissent et qui enlèvent le réalisme (les lits qui entrent et qui sortent, de manière magique, représentent un énorme travail en coulisse) ils sont comme des respirations, notamment à la fin."
- Marie-Françoise Palluy-Asseily : « Plus le temps passe et plus Claudia a envie d’épurer sa mise en scène, d'aller vers le stylisé et le beau. »
- Christine Kiehl: "Le fonctionnement du décor crée l'enfermement. Transparence du dedans-dehors, la scène représente l'univers mental du personnage. Le compositeur (Jean-Marie Sénia) s’est inspiré des didascalies de Miller pour ses compositions."
- Valérie Marinese : « L’univers sonore est aussi très important pour moi, ça rend la pièce vivante, charnelle. »
Dites-en
nous plus sur les personages?
Valérie Marinese : "Pour ma part, je n'ai pas un rôle très « important » dans cette pièce, mais il n'y a pas de petit personnage. Dans cette pièce, on a la figure de Willy Loman, sa femme et leur deux enfants. C'est ce quatuor qui forme les fondations de cette pièce, mais tous les personnages qui gravitent autour apportent quelque chose et nous font découvrir des choses.
Mon personnage joue la maitresse de Willy qui éduque ses enfants avec une morale extrême et fonde tout sur la réussite sociale, on apprend que lorsqu'il part sur les routes la moralité dépasse tout ça, cette pièce est une tragédie."
Concernant
la direction d'acteurs, Claudia Stavisky a-telle a une idée très
précise ou est-elle plutôt libre?
Valérie Marinese : « Nous avons eu la chance de répéter 2 mois, ce qui est très rare. Elle est plutôt libre, on a commencé les répétitions par des lectures, elle nous a vraiment choisis et nous a fait confiance, il y a eu un travail d'échange entre ce que nous proposions et elle, c'était un travail collectif, mais le metteur en scène obligé de donner des pistes.On sentait Claudia heureuse de travailler sur ce texte. On sent que ce théâtre là la touche énormément. Les répétitions étaient agréables, nous étions en confiance. »
Est-ce
qu'en tant que comédienne c'est plus difficile d'avoir un metteur en
scène autoritaire ou plutôt libre?
Valérie Marinese : « C'était bien pour moi que ça arrive aujourd'hui, besoin de me remettre en question, j'adore travailler avec des metteurs en scène qui dirigent beaucoup et j'adore aussi proposer. C'est important de pouvoir renouveler sa manière de travailler. »
On
sait très peu de choses de votre personnage, comment vous la
représentez vous, quelle vie lui avez-vous inventée?
Valérie Marinese : « Je me suis bien sûr imaginé qu'elle aimait vraiment cet homme là, d'ailleurs je le revis tous les jours. C'est une figure importante parce qu'elle est en contreplan avec la femme de Willy, qui est soumise et aimante, elle c'est l'inverse, c'est une femme libre, il a été dit dans un article d'un journal catho que c'était une « prostituée » mais c'est sa maîtresse. »
Que
pensez- vous de l’image de la femme véhiculée dans cette pièce?
- Christine Kiehl: « Cela renvoie à la condition de la femme qui a évolué depuis les années 50, mais pas suffisamment. Comment sortir de ça ? »
- Marie-Françoise Palluy-Asseily : « Le personnage de Linda, presque une héroïne de la tragédie, femme forte, elle existe dans sa soumission, c'est le socle de Willy. »
On
a véritablement l'impression qu'elle fait exprès de sortir de la
salle de bain, qu'elle nargue Biff, pourquoi selon vous? Voulait-elle
provoquer le divorce?
Valérie Marinese : « C'est un flash back, un souvenir exacerbé, qui devient monstrueux. Ce n'est pas nécessairement laréalité, je ne suis pas partie du fait qu'elle était consciente que c'était son fils. C'est glauque oui, insupportable de voir cette femme qui minaude, un peu sous l'effet de l'alcool d'ailleurs, mais je n'ai pas envie de me dire qu'elle se rend compte que c'est son fils.
Ce personnage est une allégorie. Cela se ressent très bien dans la scène, dans la cuisine lorsque Willy serre ses bras dans sa femme et que sa maitresse se balade tranquillement à côté. Il y a celle qui l’aime et celle qui le hante. »
Est
ce une critique de l'infidélité?
- Valérie Marinese : "Non, cela remet plutôt en question la notion de communication entre le père et le fils.Quand un enfant découvre ça, c’est dramatique et ça pose le problème de la communication. C’est une tragédie que Biff arrive à ce moment là. La façon dont Willy élève ses garçons est mise à mal ici, l’image idéalisée du père s’écroule."
- Christine Kiehl: « La pièce a été écrite en 1949 et reflète la société américaine de l'époque, le puritanisme, les valeurs fortes de la famille, et celles du travail, le rêve américain de la réussite sociale" qui s'effondre pour Willy et le démolit. »